Naître à Bethléem en 2019
À quelques pas du lieu de la naissance du Christ, la maternité de la Sainte-Famille accueille les Palestiniennes les plus pauvres et prend soin de leur nouveau-né.
L’air est irrespirable ce matin de décembre dans les rues de Bethléem. Hier soir, jeunes palestiniens et soldats israéliens s’y sont violemment affrontés. À jets de pierres contre tirs à balles réelles, gaz lacrymogènes et canons à eau pestilentielle. Jonchée d’ordures, bordée de maisons délabrées, la route qui mène à l’hôpital de la Sainte-Famille porte les stigmates de ces combats incessants.
À quelques encablures de la grotte de la Nativité et du mur de séparation coupant Israël de la Cisjordanie, l’édifice couronné d’une statue de la Vierge détonne par la beauté de son architecture néoromane et sa propreté. Une fois franchi le seuil de la porte d’entrée, le calme remplace les bruits de klaxons et les vrombissements des avions de chasse de l’armée israélienne. Le contraste est saisissant. Dans les couloirs qui encerclent une chapelle posée dans un jardin planté d’orangers et de citronniers, des femmes voilées au ventre arrondi patientent, tandis que s’affairent médecins et infirmières.
Construit en 1882 par les Filles de la Charité de Saint-Vincent-de-Paul, l’hôpital est géré depuis 1990 par les œuvres hospitalières françaises de l’Ordre de Malte qui l’ont transformé en maternité de pointe. Dotée de soixante-trois lits et d’une unité néonatale de soins intensifs, la seule de la région, la maternité aura réalisé plus de 4 700 accouchements en 2019. Un chiffre en augmentation constante dans le territoire palestinien où la croissance démographique annuelle atteint 2,8 %.
Depuis sa fondation au XIe siècle à Jérusalem, l’ordre hospitalier vient en aide aux plus pauvres et aux plus fragiles sans distinction d’origine et de religion. 95 % des femmes qui viennent ici sont des Palestiniennes musulmanes. « Les chrétiens sont de moins en moins nombreux en Terre sainte, et leur indice de fécondité est nettement plus faible que chez les musulmans qui peuvent avoir jusqu’à neuf ou dix enfants », explique le Dr Salim, l’un des six gynécologues obstétriciens de la maternité.
Composé à 56 % de chrétiens, tous palestiniens, le corps médical reçoit une formation générale en Palestine avant de suivre une spécialisation dans une université européenne. Les sages-femmes et les infirmières sont formées à l’université catholique de Bethléem ou à Ramalah.
La Sainte-Famille est réputée pour son sérieux et la qualité de ses soins. C’est pour cette raison que Mohammed et son épouse l’ont choisie. Debout dans la nurserie ornée d’un crucifix, le jeune père de famille contemple Hassan, son petit garçon né cette nuit : « Le service est parfait, ma femme a été très bien suivie pendant toute sa grossesse, témoigne-t-il. Je n’ai jamais réfléchi à l’identité religieuse de cet hôpital. Ici, nous sommes juste des patients, la religion n’intervient pas. Le personnel médical nous a très bien accueillis sans tenir compte de nos différences », chuchote-t-il pour ne pas réveiller les autres nourrissons dormant dans la pièce.
Derrière lui, des petits jumeaux nés à 5 heures du matin sommeillent face à face dans le même berceau, sous le regard attendri de leurs parents, Jumana, 27 ans, et Samer, 28 ans, des chrétiens orthodoxes. Le couple habite une maison à Beit Sahur, à quelques kilomètres de Bethléem. La bonne réputation de l’établissement et sa proximité ne sont pas les seules raisons de leur présence ici. « C’est beau de naître près de la basilique de la Nativité, là où Jésus a vu le jour », confie Samer. « Je voulais mettre au monde mes enfants dans une ambiance chrétienne », abonde sa femme qui organisera leur baptême en juin et donnera peut-être à l’un d’eux le prénom d’Issa (Jésus en arabe).
« Des couples comme celui-ci sont minoritaires dans notre maternité. Nous savons très bien que la plupart des patients viennent ici pour le service offert et n’accordent aucune importance à notre identité religieuse, commente le Dr Salim. Mais nous sommes bienveillants avec tout le monde. Indirectement, nous délivrons un message de paix. » En revanche, inimaginable d’y croiser des patients juifs israéliens qui ne voudraient pour rien au monde voir naître leur enfant en Palestine.
Si de nombreuses femmes choisissent la Sainte-Famille, c’est aussi en raison de la modicité de ses tarifs : 300 euros pour un accouchement, 100 euros pour une péridurale. Des prix fixés en fonction du coût réel de ces actes et de ce que l’Ordre de Malte peut financer grâce aux dons, à savoir 70 euros par accouchement. « Une assistante sociale reçoit les personnes en difficulté financière et évalue avec elles la part qu’elles peuvent prendre en charge. Nous sommes avant tout une caritas », rappelle Denis Sevaistre, le directeur de l’hôpital.
Après leur accouchement, les femmes continuent d’être suivies, tout comme leurs enfants, grâce à des consultations externes pratiquées à bord d’une clinique mobile sillonnant chaque semaine les environs de Bethléem. Rendez-vous est pris le lendemain matin pour la suivre dans le désert de Judée. À son bord, le Dr Tamer, gynécologue, le Dr Nivin, pédiatre, accompagnés de Vera, une infirmière.
Depuis la route sinueuse, on aperçoit au loin des bergers gardant leur troupeau. Le convoi s’arrête un instant pour laisser passer des dromadaires. Le temps semble ne plus exister. On imagine sans peine le Christ foulant cette terre aride où le diable Le tenta après quarante jours de jeûne. Le présent resurgit au creux d’un virage quand apparaît, près d’une colonie juive illégalement implantée, un campement de Bédouins composé de baraquements en tôle ondulée.
Postées à l’entrée du village, des femmes voilées entourées de leurs enfants guettent notre arrivée, un carnet de santé estampillé « Ordre de Malte » à la main. Khadra, 36 ans, monte à l’arrière de la camionnette pour y subir une échographie. Allongée sur un divan d’examen, elle fixe l’écran en écoutant battre le cœur de son enfant. « C’est une petite fille », lui annonce le Dr Tamer. La jeune femme, qui accouchera à la Sainte-Famille, sourit. « Elles demandent toutes le sexe de leur bébé », commente Véra en lui prenant sa tension.
À l’avant du véhicule, le Dr Nivin examine un nourrisson allongé sur la banquette. Elle détecte une hernie inguinale qu’il faudra opérer sans tarder. Arrive un garçonnet, pieds nus. La pédiatre attrape un sac et le lui tend. « Ce sont les Lego qu’il m’a demandés la semaine dernière », explique le médecin qui a également préparé des sacs de vêtements pour d’autres patients. « Les gens manquent de tout ici, ils n’ont pas le minimum pour vivre. »
« Cette clinique mobile a changé notre vie »
La clinique mobile redémarre direction Rawaeen, un autre village. Sur place, Juma, musulman et père de famille nombreuse nous attend près de sa voiture. Sa femme a accouché d’un petit Noé à la Sainte-Famille quelques jours auparavant. « Cette maternité a changé notre vie et celle de toute la région », confie-t-il tandis que sa femme grimpe dans la camionnette.
Nous savons que la clinique mobile vient ici tous les jeudis. Le médecin a suivi la grossesse de ma femme et il continue de nous accompagner après la naissance. Je sais que c’est un hôpital chrétien, mais il n’y a pas de problèmes entre chrétiens et musulmans ici.
Pour le Dr Nivin, qui est catholique pratiquante, il n’y a ni musulmans ni chrétiens mais seulement des personnes démunies dont il faut prendre soin. Telle était la devise du bienheureux Gérard, le fondateur de l’Ordre de Malte, « serviteur des pauvres et ami des étrangers ».
Famille Chrétienne / via site AFPS