Palestine : Les effets désastreux de la colonisation sur l’environnement

lundi 19 octobre 2020

Chute de la biodiversité, monoculture appauvrissant les sols, vol et pollution de l’eau, destruction d’habitats naturels, mise en danger d’espèces menacées, maladies et fausses couches dues à la pollution… Mazin B. Qumsiyeh* et Mohammed A. Abusarhan* détaillent les effets catastrophiques de la colonisation sur les hommes et leur environnement en Palestine occupée

« Avant le Congrès sioniste de 1897, la Palestine comptait quelque treize cents villages et villes, chacun abritant une petite population, s’autogérant et cohabitant en harmonie avec la nature. La terre appartenait ou était exploitée par le peuple palestinien, à 85% musulman, 9,2% chrétien et 5,3% juif.
Cette structure a radicalement changé lorsque de nombreux juifs européens ont une migré massivement vers la Palestine et ont commencé à assumer le contrôle colonial de la terre.

Au cours de sa longue histoire, la Palestine a en effet subi des changements environnementaux et démographiques importants, mais ce n’est vraiment qu’au siècle dernier que ces changements ont pris une dimension coloniale. Le plus connu de ces changements est le déplacement forcé de la population autochtone, qui a atteint son apogée entre 1948 et 1950. Au cours de ces années, cinq cents villages et villes ont été détruits par les milices sionistes, ce qui a entraîné la plus grande vague de réfugiés après la seconde Guerre mondiale.

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Mais les dimensions environnementales de la catastrophe, ou Nakba, sont peu évoquées.

En 1967, Israël a occupé les 22% restants de la Palestine historique, à savoir Gaza et la Cisjordanie, et a construit des colonies dans ces territoires occupés en violation du droit international (la quatrième Convention de Genève notamment). Ces transformations dramatiques ont été préjudiciables au peuple et à la nature de Palestine.

Une fois qu’Israël a été déclaré État juif en mai 1948, les arbres indigènes (tels que les chênes, les caroubes et les aubépines) et les cultures agricoles (olives, figues et amandes) ont été systématiquement déracinés et remplacés par des pins européens. Ces pins réduisent la biodiversité et nuisent à l’environnement local. Ils perdent des feuilles acides et empêchent la croissance des plantes de sous-bois. Ces arbres sont également très sensibles au feu en raison de leurs résines. En effet, les incendies sont désormais monnaie courante dans les zones où ils ont été plantés.

Les arbres, cependant, ne sont pas les seules cibles des pratiques coloniales d’Israël. Les ressources naturelles, principalement les aquifères, ont également été confisquées aux Palestiniens. Cela s’est souvent fait via la construction délibérée de colonies israéliennes au sommet des collines pour assurer un accès effectif à ces ressources et maintenir la surveillance sur les Palestiniens. La durabilité environnementale n’a jamais été une priorité pour Israël, dont les pratiques ont affecté le paysage de manière néfaste, entraînant la destruction de divers habitats et ruissellements d’eau.

L’occupation de la Cisjordanie et de Gaza en 1967 a ouvert des opportunités pour les industries israéliennes. Bon nombre des entreprises les plus polluantes se sont installées en Cisjordanie et ont reçu des incitations fiscales à le faire. Là, les entreprises n’ont fait face qu’à l’opposition des Palestiniens qui n’avaient aucun moyen de les arrêter.
Par exemple, le fabricant de pesticides et d’engrais Geshuri, qui avait été confronté à d’importants revers judiciaires dans son usine d’origine à Kfar Saba, a été transféré dans une zone adjacente à Tulkarem en Cisjordanie en 1987. L’importante pollution causée par Geshuri et d’autres firmes dans cette région a endommagé les cultures de citronniers et les vignes.

De plus, les recherches sur la génotoxicité dans les territoires occupés montrent l’impact significatif de la colonie industrielle de Barkan sur les Palestiniens du village de Burqeen. À mesure que l’ADN et les chromosomes sont endommagés par la pollution, il y a de plus en plus de cas de fausses couches, de cancers et de malformations congénitales. La pollution de l’air et de l’eau a également provoqué des pathologies allant des maladies respiratoires aux problèmes gastro-intestinaux.

D’autres problèmes liés à la santé résultent de la pratique israélienne d’envoyer des déchets, y compris des débris électroniques, à travers la Ligne verte. Ces débris sont souvent recyclés par des Palestiniens démunis, de manière nocive pour l’environnement, comme l’utilisation du feu pour retirer le plastique des métaux utiles. Cette pratique libère des substances qui causent des maladies graves, notamment le cancer et des maladies pulmonaires.

Israël a également construit un vaste réseau de routes et d’autres infrastructures au service des colons. Les arbres et tous les bâtiments situés à moins de soixante-quinze mètres de ces routes sont rasés au bulldozer et déclarés zones militaires fermées aux Palestiniens. La superficie totale utilisée en Cisjordanie pour les routes des colons est aujourd’hui d’environ 100 km2. Ajouté aux 150,5 km2 de colonies de peuplement construites, il s’agit d’une vaste zone qui était auparavant utilisée par les Palestiniens pour l’agriculture, les pâturages ou les loisirs.

La disparité entre colons et autochtones en matière de contrôle des terres et de niveau de vie est aggravée par la disparité d’accès à d’autres ressources naturelles, en particulier l’eau. Les responsables israéliens ignorent délibérément les faits et présentent des données falsifiées ou inexactes pour servir leurs intérêts politiques dans le Jourdain, ce qui a un impact catastrophique sur l’accès des Palestiniens à l’eau. En effet, 91 pour cent de l’eau totale de la Cisjordanie est expropriée pour l’usage des colons israéliens.

L’occupation israélienne a entraîné une perte considérable de biodiversité dans les territoires palestiniens. Cela a commencé il y a de nombreuses années quand Israël a détourné les eaux de la vallée du Jourdain et lorsque les arbres entourant les villages palestiniens détruits ont été remplacés par de la monoculture. Plus récemment, le mur d’apartheid en Cisjordanie fait obstacle aux activités humaines et aux mouvements des animaux, causant une perte de biodiversité. Les humains et la nature sont liés en Palestine depuis des milliers d’années, et la perte continue de biodiversité endommage irréversiblement la culture palestinienne, menace des espèces en voie de disparition et nuit à la durabilité de l’agriculture et de l’environnement.

Il existe de nombreuses autres pratiques par lesquelles l’occupation a sapé le développement durable et la protection de l’environnement. Celles-ci incluent le refus de délivrer des permis de construire dans la majeure partie de la Cisjordanie et la destruction de toutes les structures « non autorisées », y compris les citernes et les panneaux solaires. Un autre exemple est la politique israélienne d’absorption du secteur du tourisme palestinien, y compris l’écotourisme.

ne des principales menaces pesant sur le paysage palestinien est la confiscation de terres pour les colonies. Par exemple, le village palestinien de Ras Imweis et six zones adjacentes ont été initialement confisqués, avant de devenir la colonie de Nahal Shilo. Dans de nombreux autres cas, les autorités d’occupation israéliennes ont empêché le développement durable palestinien en revendiquant certaines étendues de terre comme des « zones vertes », puis en les transformant en colonies juives en l’espace de deux à trois ans. Une telle exploitation était également évidente dans le district de Bethléem, où la montagne Abu Ghuneim, l’une des plus grandes forêts du district, a été transformée en la colonie de Har Homa en 1997. C’est ainsi qu’Israël « blanchit » l’occupation.

Échec international

L’article 49 de la quatrième Convention de Genève (qu’Israël a ratifiée) stipule que « la Puissance occupante ne déportera ni ne transférera une partie de sa propre population civile dans le territoire qu’elle occupe », ajoutant que la vie dans les zones militaires occupées doit être autorisée à se dérouler aussi normalement que possible. La résolution 465 du Conseil de sécurité de l’ONU de 1980 dit que « toutes les mesures prises par Israël pour changer le caractère physique, la composition démographique, la structure institutionnelle ou le statut des territoires palestiniens et arabes occupés depuis 1967, y compris Jérusalem, n’ont pas de validité juridique », et que « la politique et les pratiques d’Israël consistant à installer une partie de sa population et de ses nouveaux immigrants dans ces territoires constituent une violation flagrante de la quatrième Convention de Genève » Mais Israël ignore largement le droit international. Cette impunité est rendue possible par la communauté internationale. Par exemple, un rapport du Programme des Nations Unies pour l’environnement de 2003 a identifié les principaux effets de l’occupation sur l’environnement, et fait plus d’une centaine de recommandations, mais n’a pas établi ni obligations, ni de dates butoir.

Cet échec du système juridique international à tenir Israël responsable de ses actes n’est pas seulement lié aux problèmes environnementaux, mais s’étend à de nombreux autres domaines, y compris les mauvais traitements infligés par Israël aux prisonniers et la destruction de la vie civile. Le lobby politique agressif israélien a également influencé de nombreux gouvernements ainsi que les décisions prises à l’ONU, où les États-Unis ont le droit de veto. L’échec international face à Israël – comme en Afrique du Sud sous l’apartheid – laisse le poids de la question entre les seules mains des militants. « 

*Mazin B. Qumsiyeh est enseignant et chercheur à l’université de Béthléem et à celle de Birzeit. Avant de revenir en Palestine en 2008, il a enseigné, ainsi que sa femme, aux USA, dans les universités du Tennessee, de Duke et de Yale. Ils ont créé l’institut pour la Biodiversité et le développement durable à l’université de Béthleem.

*Mohammed A. Abusarhan est étudiant en master de biotechnology à l’université de Béthleem et à l’université polytechnique de Palestine. Depuis 2017, il travaille au Musée d’Histoire Naturelle de Palestine et au Musée de biologie.

(Traduit par Sarah V. pour CAPJPO-EuroPalestine)

Source :https://magazine.scienceforthepeople.org/vol23-1/an-environmental-nakba-the-palestinian-environment-under-israeli-colonization/

CAPJPO-EuroPalestine