Réimaginer la libération à travers les comités populaires
Par Layth Hanbali
Les Palestiniens font l’expérience d’une solidarité mondiale sans précédent depuis l’Intifada, pourtant leur lutte pour la libération reste piégée par le cadre post-Oslo. L’analyste politique d’Al-Shabaka, Layth Hanbali, explore la riche histoire des comités populaires des années 1970 et 1980 pour proposer des recommandations sur la façon dont les Palestiniens peuvent réorienter leurs communautés et leurs institutions pour faciliter l’émergence d’une mobilisation populaire et libératrice.
Un soldat israélien pointe son fusil sur une Palestinienne tenant une pierre lors d’une manifestation au cours de laquelle un jeune Palestinien a été abattu à Gaza, le 29 février 1988 – Photo : Archives
Introduction
Avec le changement discursif significatif qui a émergé au niveau mondial après l’Intifada de 2021, les Palestiniens et leurs alliés ont réussi à centrer le colonialisme des colons sionistes comme la cause profonde de leur lutte, avec la libération comme seule solution.
Cela a supplanté les récits de paix et de construction de l’État qui ont dominé le discours mondial sur la Palestine, en particulier depuis les accords d’Oslo de 1993.
L’Intifada unitaire en cours continue de remettre en question la fragmentation géographique, sociale et politique forcée du peuple palestinien, alignant ainsi les luttes et les espoirs des communautés palestiniennes du monde entier.
Faire avancer l’objectif de la libération nécessite le redéveloppement d’un cadre anticolonial. Outre la promotion d’un discours de libération, ce cadre nécessite de subvertir les structures coloniales dans lesquelles vivent les Palestiniens.
Cette note d’orientation explore comment les Palestiniens peuvent repenser leur lutte de libération en se tournant vers leur riche histoire de mobilisation populaire.
Plus précisément, elle examine les succès des comités populaires palestiniens qui se sont formés en Cisjordanie et à Gaza dans les années 1970 et 1980, et propose des recommandations sur la manière dont la société civile peut aujourd’hui œuvrer à la reconstruction de communautés qui facilitent le développement d’un mouvement populaire de libération réimaginé.
L’héritage des comités populaires palestiniens
L’impressionnante mobilisation nationale des Palestiniens lors de la première Intifada doit être considérée dans le contexte de la mobilisation populaire qui l’a précédée. La première Intifada s’est appuyée sur des missions et des pratiques locales visant à se désengager du colonialisme israélien.
Les campagnes nationales qui ont vu le jour au cours de l’Intifada, souvent coordonnées par la Direction unie du soulèvement (UNLU, ou “United Leadership of the Uprising”), comprenaient le boycott des produits israéliens et de l’administration civile israélienne, le refus de payer les impôts israéliens et des appels bien suivis à la démission de centaines de collecteurs d’impôts et d’officiers de police palestiniens – autant de tactiques pratiquées tout au long des années 1970 et 1980.
Les campagnes nationales et les efforts des comités populaires pour défier l’appareil d’occupation israélien se sont renforcés mutuellement, et la décision par Israël de tous les interdire en 1988 illustre leur succès.
En effet, le ministre israélien de la défense de l’époque a déclaré que la décision d’interdire les comités populaires était due au fait qu’ils “sapaient l’appareil gouvernemental israélien et établissaient un appareil alternatif à sa place”.
Le volontariat palestinien au service de la libération
Les mouvements de volontaires palestiniens se sont formés en Cisjordanie et à Gaza à une époque où la lutte pour la libération était remplacée par un projet de construction d’un État.
Si ce projet s’est confirmé dans les années qui ont suivi la signature des accords d’Oslo de 1993, l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) a sans doute adopté ce modèle dès 1974, lorsqu’elle a approuvé le programme en dix points, une proposition qui a introduit le concept de la solution à deux États dans le discours nationaliste palestinien.
Bien que soutenu par le Fatah, la plus grande faction palestinienne au sein de l’OLP, ce programme a été condamné par d’autres factions qui ont formé le Front du refus, au motif que le Fatah abandonnait le reste de la Palestine historique.
La société civile palestinienne a également condamné le programme et, à partir des années 1970, a organisé des mouvements de volontaires pour atténuer les souffrances des communautés tombées sous occupation israélienne après 1967.
Principalement composés de professionnels de la classe moyenne, les volontaires ont aidé les agriculteurs et les communautés plus pauvres les plus directement touchés par l’occupation militaire, et ont mis en place des projets pour remettre en état les infrastructures détruites.
Très vite, ils se sont développés en réseaux régionaux de volontaires, dont certains appartenaient à des partis politiques, notamment le Fatah et le Parti communiste jordanien. [1]
Les activités des réseaux de volontaires ont politisé une génération de jeunes Palestiniens en rassemblant différentes composantes de la société palestinienne et en les sensibilisant à l’importance de la lutte anticoloniale.
Ces réseaux se sont développés conjointement avec des institutions culturelles qui affirmaient l’identité et l’histoire palestiniennes.
Par exemple, la troupe de danse populaire palestinienne El-Funoun a été créée en 1979 avec pour mission d’affirmer l’identité politique et culturelle palestinienne. En 1972, la société In’ash al-Usra, une organisation féministe et de développement à but non lucratif fondée en 1965, a lancé un programme culturel visant à préserver et à revitaliser le patrimoine palestinien.
Ces réseaux en constante augmentation ont facilité les avancées politiques et inculqué une éthique anticoloniale pour résister à l’agression militaire israélienne.
En 1976, les Palestiniens ont élu un grand nombre de maires et de conseils municipaux progressistes. Cela a permis la création du Comité national d’orientation en 1978, qui était composé de maires, de représentants syndicaux, d’étudiants militants et d’autres organisateurs de terrain.
Des groupes comme ce Comité national ont accéléré l’organisation d’alliances politiquement actives dans les territoires occupés, ce qui a encouragé et normalisé la mobilisation populaire dans les institutions publiques et dans la rue palestinienne comme moyen de contester l’occupation militaire coloniale.
Par exemple, en 1979, des mouvements de protestation qui ont duré plusieurs mois ont conduit à l’évacuation de la colonie israélienne d’Elon-Moreh, qui avait été construite sur des terres privées appartenant aux habitants palestiniens de la ville de Rujeib.
La même année, les protestations et la démission massive des maires ont empêché la déportation par Israël du maire de Naplouse.
Les conseils municipaux élus en 1976 ont également réussi à réduire leur dépendance financière à l’égard des sources de financement israéliennes, en collectant des fonds auprès des pays arabes voisins pour développer les services municipaux. Cette démarche a été particulièrement fructueuse à Naplouse, où la ville a pu augmenter son indépendance dans le secteur de l’énergie.
Les premières tentatives d’Israël pour étouffer ce mouvement ont consisté à criminaliser les activités des membres et à restreindre les déplacements de nombreux maires et militants.
Les universités palestiniennes, dont beaucoup étaient des centres d’activité politique, ont été fermées pendant plusieurs mois d’affilée à partir de 1979 et pendant les années 1980.
En 1980, des escadrons de la mort israéliens ont tenté d’assassiner trois maires de Cisjordanie, blessant gravement deux d’entre eux.
La mesure dans laquelle les autorités d’occupation israéliennes ont réprimé le militantisme palestinien dsur le terrain tout au long de cette période, atteste de son poids politique et de son efficacité.
En 1982, Israël a mis hors la loi le Comité d’orientation national et a démis de leurs fonctions les conseils municipaux et les maires élus. Il les a remplacés par des personnalités moins conflictuelles et, dans certaines régions, a confié les fonctions municipales aux ligues de village.
Ces ligues étaient en grande partie composées de Palestiniens issus de communautés rurales de Cisjordanie, prêts à collaborer avec Israël en échange de services, d’armes et de soutien financier.
Bien que les ligues de village aient finalement échoué en raison de la résistance populaire palestinienne, elles représentaient la première tentative israélienne d’installer une auto-administration palestinienne.