Comment la couverture mediatique blanchit la violence de l’etat israelien contre les palestinien-ne-s
Par Laura Albast et Cat Knarr, le 30 avril 2022
Le 15 avril, à l’aube, la police israélienne a attaqué des Palestiniens sur le site sacré de la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem. Ils ont utilisé des grenades assourdissantes, des gaz lacrymogènes et des balles en acier recouvertes de caoutchouc, faisant plus de 150 blessés. Depuis lors, les forces israéliennes ont lancé de nouvelles incursions, détenant plus de 300 Palestiniens dans le complexe d’Al-Aqsa et empêchant les chrétiens palestiniens d’entrer dans l’église du Saint-Sépulcre. Cette violence soigneusement calculée intervient alors que les musulmans palestiniens entament les derniers jours du Ramadan.
Lorsque l’on regarde les images de ce qu’il s’est passé, la dynamique est évidente : des forces armées équipées d’armes à feu contre des fidèles agenouillés en prière. Cependant, la couverture médiatique occidentale qualifie régulièrement la situation de « compliquée », décrivant cette violence d’État comme des « affrontements » et des « tensions » entre deux camps. Les titres de médias tels que l’Associated Press, le New York Times, le Guardian, le Wall Street Journal, NBC News et d’autres utilisent un langage qui ne reconnaît pas le déséquilibre de pouvoir entre l’appareil militaire israélien et le peuple palestinien autochtone.
C’est un schéma que nous avons vu et revu dans la couverture médiatique de la Palestine. Les Palestinien.ne.s ne sont pas tués, nous mourons tout simplement. Lorsque les forces israéliennes font des raids dans nos quartiers au milieu de la nuit, bombardent nos enfants, démolissent nos maisons, colonisent nos terres et tuent notre peuple, nous en sommes en quelque sorte les instigateurs, à égalité. Les descriptions des médias impliquent régulièrement une fausse symétrie entre l’occupant et l’occupé, soutenant des récits anti-palestiniens et islamophobes qui rendent le peuple palestinien responsable de l’agression israélienne.
Cette situation contraste avec la couverture de la guerre en Ukraine, dans laquelle les médias occidentaux indiquent très clairement que la Russie est l’agresseur et que le peuple ukrainien résiste, comme n’importe qui le ferait si sa maison allait être envahie. Qu’il s’agisse d’appeler à des sanctions contre Moscou ou de faire l’éloge de l’utilisation de cocktails Molotov contre les soldats russes à Kyiv, les principaux médias occidentaux ont soutenu les tentatives de la population ukrainienne de se défendre.
Pourtant, lorsqu’il s’agit de l’occupation israélienne de la Palestine, ces mêmes médias omettent souvent de désigner l’agresseur. Les civils ukrainiens qui lancent des cocktails Molotov sur les chars russes sont qualifiés de « courageux », mais Qusai Hamamrah, âgé de14 ans, a été décrit comme représentant une menace immédiate après que des soldats israéliens armés ont affirmé qu’il leur avait lancé un cocktail Molotov. Il s’agit d’une différence radicale et raciste dans la couverture médiatique, qui a passé sous silence les récits de témoins oculaires indiquant que le garçon courait se cacher des balles israéliennes visant un autre Palestinien.
Les salles de presse ne peuvent pas choisir quelle violence sanctionnée par l’État est légitime. Elles doivent s’efforcer de rendre compte des actions de l’armée israélienne et des colons israéliens de la même manière que sont couverts les abus commis en Ukraine et dans d’autres pays. Le gouvernement israélien est bien sûr très conscient de la capacité des médias à dénoncer ces abus. Les forces israéliennes ont bombardé des bureaux de presse dans la bande de Gaza en mai dernier et ont attaqué des journalistes tels que Nasreen Salem à Al-Aqsa.
L’été dernier, plus de 500 journalistes ont signé une lettre ouverte dénonçant la dangereuse incurie professionnelle dans la couverture médiatique étatsunienne de la Palestine. Cette protestation n’a pas été entendue ; la couverture biaisée continue d’être la norme.
Ce mois-ci, l’Association des journalistes arabes et du Moyen-Orient a rappelé aux journalistes qu’ils doivent être attentifs au langage et au contexte et a réitéré les conseils de reportage publiés lors de l’attaque meurtrière d’Israël contre Gaza l’année dernière, qui a tué 259 Palestiniens, dont 66 enfants. Ces conseils demandent aux journalistes de reconnaître que les Palestiniens sont soumis à un système injuste et inégal, qui a été qualifié d’apartheid par des organisations internationales telles que Human Rights Watch et Amnesty International, ainsi que par l’organisation israélienne de défense des droits de l’homme B’Tselem בצלם. Elle a également demandé aux journalistes d’être prudents quant aux conceptions religieuses et de « dire aux lecteurs qui a été tué ou blessé, où et par qui, en utilisant un langage actif plutôt que passif ». En pratique, cela signifie qu’il faut dire clairement qui est l’agresseur, quelle action il a menée et contre qui.
Les journalistes ont la responsabilité de rapporter les faits sans parti pris. Le journalisme concerne les gens : leurs récits, leur histoire, leur réalité. Cela inclut le peuple palestinien. Le reportage factuel doit inclure la recherche de l’expression des Palestiniens et des enquêtes sur les affirmations des représentants du gouvernement avant de les présenter comme des vérités.
En négligeant de contextualiser la violence de l’État israélien, les médias ont donné un laissez-passer au gouvernement israélien, lui permettant de poursuivre le nettoyage ethnique du peuple palestinien en toute impunité. Il est temps pour les médias de réparer le mal qu’ils ont fait. Ils devraient faire l’effort d’engager des journalistes palestiniens et de se centrer sur les voix palestiniennes, au lieu de les effacer systématiquement de leurs propres histoires. Les innombrables documents d’images de violence à l’encontre des Palestinien.ne.s ne doivent pas rester confinés dans le flux des médias (qui subissent une autre forme de censure).
Au lieu de véhiculer des récits incomplets qui donnent libre cours à l’agression israélienne, les médias doivent commencer à raconter la totalité de l’histoire.
Laura Albast, journaliste et traductrice palestino-américaine, est rédactrice en chef de la stratégie numérique et des communications à l’Institute for Palestine Studies-USA.
Cat Knarr, écrivaine d’origine palestinienne et colombienne, est directrice de la communication de la Campagne américaine pour les droits des Palestiniens.
Source : The Washington Post
Relecture SF pour l’Agence média Palestine