Pourquoi les Palestiniens ne pleureront pas la mort de la Reine
Farrah Koutteineh explique que malgré la perception de neutralité, la longue et violente histoire de la monarchie britannique en Palestine est la raison pour laquelle les Palestiniens ne pleureront pas la mort de la reine Elizabeth II.
Alors que le monde semble être en deuil prolongé de la reine Elizabeth II, le plus ancien monarque britannique, sa mort rappelle aux Palestiniens la barbarie tacite dont ils ont été victimes de la part de la monarchie britannique.
Ces dernières années, la famille royale britannique a désespérément tenté de paraître impartiale lorsqu’il s’agit de la Palestine, mais même ces tentatives sont tout aussi déplorables que sa responsabilité historique indéniable dans la colonisation massive et le nettoyage ethnique de la Palestine.
En 2008, l’ancien Premier ministre et président israélien, Shimon Peres, responsable du massacre de Cana au Liban, s’est vu décerner un titre de chevalier honoraire par la reine.
Moins d’une décennie plus tard, en 2016, le prince Charles a assisté aux funérailles nationales israéliennes de Shimon Peres à Jérusalem.’’
La Grande-Bretagne a joué un rôle irréfutable dans la création de l’État d’Israël, et tout autant dans la colonisation de masse, le nettoyage ethnique et l’exode des Palestiniens.
’’Même en se promenant en Palestine occupée, le lien entre Israël et la famille royale est visiblement indiscutable. La mère du prince Phillip, la princesse Alice, est enterrée dans l’église de Marie-Madeleine à Jérusalem, bien qu’elle soit décédée à Buckingham Palace. À quelques mètres de la tombe de la princesse Alice se trouve King George Street, une ancienne rue palestinienne rebaptisée après l’occupation de Jérusalem par Israël, en l’honneur du père de la reine, le roi George VI, pour sa contribution à la fondation de l’État israélien.
Le petit-fils de la reine, le prince William, s’est rendu en Israël pour célébrer le centenaire de la déclaration Balfour, décrétée par l’ancien ministre britannique des affaires étrangères Lord Arthur Balfour en 1917, qui promettait de faire de la Palestine un État de colons juifs.
Cette déclaration, étouffée par le droit impérialiste, est mieux résumée par les mots de feu l’universitaire palestino-américain Edward Said : "faite par une puissance européenne... à propos d’un territoire non-européen... dans un mépris total de la présence et des souhaits de la majorité indigène résidant dans ce territoire". Trois ans après le décret de la déclaration Balfour, le mandat britannique de la Palestine débute brusquement en 1920. Sous l’impulsion du roi George VI, la Palestine a connu certains des jours les plus sombres de son histoire moderne.Le mandat britannique a ouvert la voie à la création d’Israël, grâce à la Royal Air Force (RAF) britannique qui a bombardé les villages palestiniens, dissous les partis politiques palestiniens et déporté leurs dirigeants, et désarmé les groupes de résistance palestiniens en recourant à l’exécution publique comme moyen de dissuader les Palestiniens de porter des armes.
La Grande-Bretagne s’est assurée d’ouvrir les portes de la Palestine aux colons juifs et aux milices sionistes violentes désireuses de coloniser la Palestine, en démembrant la population palestinienne indigène, sans chef et sans défense.
Il y a de fortes raisons de penser que les forces du mandat britannique étaient tout aussi complices de la Nakba que les milices sionistes qui l’ont orchestrée, pour ne pas dire qu’elles étaient ouvertement complices du nettoyage ethnique de la Palestine. Par exemple, l’expulsion forcée des Palestiniens de la ville de Tibériade en 1948 a été facilitée par les forces britanniques, tout comme l’expulsion sanglante de plus de 30 000 Palestiniens de Haïfa sous la direction du général britannique Hugh Stockwell.Les forces du mandat britannique ont utilisé les chemins de fer de Palestine pour importer davantage de colons juifs en Palestine, tout en fermant les yeux sur les massacres commis par ces colons contre les Palestiniens.
Au cours des six dernières semaines du mandat britannique, les forces britanniques avaient recueilli des renseignements sur des dizaines de massacres de Palestiniens sur le point de se produire, mais les ont laissés se produire. Le chef de la police britannique de Jérusalem se trouvait à quelques kilomètres seulement de Deir Yassin lorsqu’il a reçu des renseignements sur le massacre sur le point de se produire, mais il n’a rien fait pour l’arrêter.
Le massacre de Deir Yassin est considéré aujourd’hui comme l’un des jours les plus sanglants de l’histoire de la Palestine, au cours duquel la milice sioniste a mutilé, violé et assassiné plus de 107 Palestiniens, dont des femmes et des enfants.
L’impact de l’impérialisme britannique sur la Palestine est d’une pertinence criante lorsqu’il s’étend sur les 70 ans de règne de la Reine.Dans les années 1930, l’officier colonial britannique Sir Charles Tegart avait conçu le camp 1391 comme l’une des 62 prisons et "centres d’investigation arabes" destinés à contenir l’agitation civile croissante contre le mandat britannique en Palestine. Ces "centres d’interrogatoire" étaient utilisés par les Britanniques pour interroger, torturer et exécuter les dirigeants politiques et les personnalités palestiniennes qu’ils jugeaient impliqués dans la révolte arabe de 1936-1939.
Surnommée "le Guantanamo d’Israël", la prison clandestine israélienne, où les prisonniers palestiniens sont régulièrement soumis à la torture, a été effacée des cartes israéliennes modernes afin de garder son existence et ses activités secrètes. Ce n’est qu’en 2003, alors que Gad Kroizer, un universitaire israélien, faisait des recherches sur d’anciens bâtiments de police appartenant aux forces de police de Palestine (un service de police colonial britannique), qu’il est tombé sur une carte vieille de 80 ans. Grâce à cette carte, il a découvert que 62 de ces bâtiments existaient encore, l’un d’entre eux ayant été complètement rayé des cartes israéliennes modernes.
Ces bâtiments témoignent de la conduite barbare et impitoyable de la police coloniale britannique à l’égard des Palestiniens, avec des tortures comprenant des passages à tabac jusqu’à ce que les Palestiniens soient incapables de marcher, des brûlures à l’huile bouillante, des chiens lancés sur eux, des instruments spéciaux utilisés pour extraire les ongles, des chocs électriques et des exécutions extrajudiciaires.
Ces dernières années, il a été rapporté que le camp 1391 était encore pire que Guantanamo Bay. En effet, si la Croix-Rouge a accès au célèbre centre de détention américain, elle n’a jamais été autorisée à visiter le camp 1391, pas plus qu’aucune autre organisation internationale. Même les membres de la Knesset israélienne se sont vu refuser l’accès au camp par des tribunaux israéliens. Pratiquement toutes les informations sur le camp proviennent des témoignages des quelques prisonniers qui ont survécu.
En effet, le camp 1391 a été construit par les Britanniques pour opprimer les Palestiniens, puis remis aux Israéliens pour maintenir cette oppression.
Sous le mandat britannique et avec sa coopération sans réserve, le premier mouvement sioniste a pu jeter les bases de la création de son État colonial de colons en Palestine. Le parlement israélien, ses lois, sa constitution non codifiée, son armée et sa violence envers les Palestiniens portent tous des traces de l’influence britannique. La brutalité israélienne du Camp 1391 témoigne de la brutalité britannique qui l’a précédée.
Ce sont les nombreuses raisons pour lesquelles les Palestiniens ne pleureront pas la mort de la reine Elizabeth II.
Farrah Koutteineh est responsable des relations publiques et juridiques du Centre pour le retour des Palestiniens, basé à Londres. Elle est également la fondatrice de KEY48, un collectif de bénévoles qui réclame le droit de retour immédiat des plus de 7,2 millions de réfugiés palestiniens. Farrah Koutteineh est également une activiste politique qui se concentre sur l’activisme intersectionnel, notamment le mouvement Décoloniser la Palestine, les droits des peuples indigènes, le mouvement anti-établissement, les droits des femmes et la justice climatique.
Traduction et mise en page : AFPS / DD