Toujours roulant, malgré Gaza : le champion cycliste palestinien Alaa Al-Dali
La jambe du champion cycliste Alaa Al-Dali a été réduite à néant par un tireur embusqué israélien. Maintenant, il fait son retour en tant qu’athlète du cyclisme handisport.
Alaa Al-Dali utilise la route la plus longue de Gaza (35 km) pour ses séances quotidiennes d’entraînement.
Ville de Gaza – Minuscule et surpeuplée, Gaza est l’un des endroits les moins adaptés au monde pour le cyclisme sur route. Pourtant, c’est là qu’Alaa Al-Dali, le meilleur cycliste de Palestine, vit et s’entraîne. Il est remarquable qu’un sport d’endurance comme le cyclisme ait trouvé un point de départ passionné dans des rues truffées de de bombes. La bande de Gaza ne fait que 41 km de long et 12 km dans sa partie la plus large, avec une moyenne de six habitants au mètre-carré.
« Je m’entraîne pendant quatre ou cinq heures, soit 120 km, chaque jour. Nous éprouvons des difficultés parce que Gaza est si petite, la route la plus longue a environ 35 km : nous la parcourons dans les deux sens pour l’entraînement de la séance quotidienne. Mon rêve est de participer à des tournois internationaux », explique Al-Dali à Al Jazeera.
Le cycliste a gravi tous les échelons de la petite scène du cyclisme palestinien, remportant une médaille d’or au Championnat national de cyclisme en 2018. Alors que les athlètes de Gaza sont officiellement éligibles à une autorisation de sortie, Alaa n’a jamais pu quitter la Bande : « Nous avons été invités à de nombreuses reprises pour participer à des compétitions à l’étranger mais nous ne pouvons pas nous y rendre à cause des relations internationales entre Gaza et les autres pays ».
« L’Égypte a fermé sa frontière à cause du conflit entre le Hamas et le président égyptien. Israël a refusé toutes nos demandes de voyage à l’extérieur de Gaza. Si on vous la refuse de nombreuse fois, vous pouvez être interdits définitivement de vous rendre en Israël, et c’est le pire des cauchemars pour les athlètes de Gaza. Nous essayons de faire du sport, et eux nous restreignent avec leur politique » dit Al-Dali.
Le fait de courir au niveau international peut transcender l’importance sportive de l’évènement lui-même, en particulier lorsqu’un athlète vient d’un territoire violemment contesté au Moyen-Orient. « Pour de nombreux athlètes, lever le drapeau palestinien dans les compétitions internationales est une forme de résistance pacifique », explique à Al-Jazeera, Mohammed el-Arabi, membre du Comité paralympique palestinien.
Quand Al-Dali a été qualifié pour les Jeux asiatiques de 2018, il a craint inévitablement qu’il allait perdre cette occasion unique à cause des représailles aux frontières. Il s’est donc joint, dès le premier jour, à la manifestation de la Marche du Retour, à la frontière avec Israël, afin d’exiger son droit à une carrière en tant qu’athlète national.
Ce jour-là a changé sa vie, et pour toujours.
Un cycliste perd sa jambe
Le 30 mars 2018, Al-Dali est allé à la Marche du Retour, à vélo, vêtu de sa tenue de cycliste. Un tireur embusqué israélienne lui a tiré une balle dans la jambe droite alors même qu’il ne faisait que regarder la manifestation, à environ 300 mètres de la clôture de séparation, selon un rapport du Conseil des droits de l’homme des Nations-Unies (OHCHR).
« La balle (ressemblait) à une petite grenade. Elle m’a presque désintégré l’os de la jambe, sur 22 cm. Le muscle, les artères et les veines étaient complètement abîmés. Le médecin a dit qu’il n’avait jamais vu une chose pareille » a dit Alaa.
Le personnel médical a été surpris qu’il n’ait pas subi un choc hypovolémique en raison de la grave perte de tension artérielle. Son cœur continuait à battre juste assez pour survivre. Après que l’autorisation de quitter Gaza pour être soigné lui a été refusé par les autorités israéliennes, Al-Dali s’est entendu dire qu’il mourrait toujours, même si jambe n’était pas amputée au-dessus du genou.
Alaa Al-Dali a supplié son médecin de sauver sa jambe, en vain (Nicola Zolin/Al Jazeera)
Mais sans sa jambe, il sentait qu’il mourrait de toute façon : « J’ai supplié le médecin de faire tout ce qu’il pouvait avant de m’amputer parce que mes rêves en tant qu’athlète sont liés à ces jambes. J’ai passé huit jours en salle d’opération. Chaque jour, je subissais une opération à la jambe. J’avais si mal, et les morceaux de la balle infectaient tout. Il me fallait choisir : soit l’amputation, soit perdre ma vie. Après avoir beaucoup réfléchi, j’ai donné mon accord pour qu’on me coupe la jambe. Ce fut une décision très difficile à prendre ».
Pendant ce temps, la controverse faisait rage alors que l’an dernier, la course cycliste du Giro prenait le départ en Israël peu après son amputation. Dans les mois qui ont suivi, Al-Dali se souvient avoir essayé de se remettre du traumatisme alors que beaucoup se présentaient à sa porte pour lui demander des interviews. Au début, il les a laissés entrer, espérant que cette publicité pourrait, d’une certaine manière, l’aider à remettre sa carrière de cycliste sur les rails. Peut-être que quelqu’un arriverait à l’aider à partir acquérir des prothèses haute technologie qui ne peuvent pas être fabriquées à Gaza.
Il est ressorti peu de choses de la vague des gros titres, si bien qu’Al-Dali réalisa bientôt qu’il devait aller de l’avant avec ce qu’il avait. Moins de trois mois après sa blessure, il annonçait son intention de devenir le premier coureur cycliste handisport de Gaza.
Sur la voix des Jeux olympiques
Si le cyclisme est un sport de niche à Gaza, le paracyclisme est définitivement hors du radar. Cependant, les trois grandes guerres de ces dix dernières années ont eu malheureusement comme résultat 130 000 personnes handicapées environ dans l’enclave côtière. C’est particulièrement visible lorsque vous marchez dans la rue ; près de sept pour cent des Palestiniens sont handicapés, selon le Bureau central palestinien des statistiques.
L’ironie, c’est que le conflit a créé le potentiel pour qu’une génération de champions handisport émerge de Gaza, a déclaré El-Arabi, un responsable paralympique, à Al Jazeera. « Alaa (Al-Dali) est venu et nous a proposé de créer une fédération de paracyclisme à Gaza, la première du Moyen-Orient. Je lui ai répondu qu’il n’y avait aucun cycliste, seulement lui Alaa, à essayer de pratiquer du paracyclisme. Mais alors, j’ai réalisé que des centaines de personnes avaient perdu une jambe au cours des mois passés. Et que nous pourrions monter une équipe autour d’Alaa ».
Alaa Al-Dali continue de pédaler avec une seule jambe, allant et revenant sur la seule route plate dans les limites de Gaza (Nicola Zolin/Al Jazeera)
La première chance d’Al-Dali de faire ses débuts comme athlète handisport lui a été donnée très tôt par le Comité paralympique asiatique (APC) qui l’invitait aux Jeux asiatiques de 2018 à Jakarta, six mois seulement après son amputation. Les organisateurs lui ont proposé de s’occuper des visas, des permis de courses et des dépenses, mais là encore, le gros problème était les frontières d’Al-Dali ; celle de l’Égypte était fermée et il n’a pas demandé l’autorisation des Israéliens de crainte d’être mis sur liste noire. Puis, en novembre, Al-Dali et El-Arabi ont été invités à venir s’exprimer en France sur le droit des athlètes dans la bande de Gaza, mais le gouvernement français ne leur a pas accordé de visa, dans la crainte qu’Al-Dali ne cherche asile en Europe.
Durant tout ce temps, il s’est rééduqué sur son vélo, au Centre des membres artificiels et de la polio (ALPC) créé par le gouvernement local et le Comité international de la Croix-Rouge. En février, Al-Dali était en capacité de marcher avec sa nouvelle jambe prothètique, presque un an après l’amputation.
La frustration s’intensifie au fur et à mesure que le temps expire pour monter une équipe de paracyclisme dans un lieu où les importations de vélos sont réglementées par le blocus et où il est presque impossible de participer à des compétitions à l’étranger et de se qualifier pour les Paralympiques de Tokyo en 2020. « La seule chance, » estime El-Arabi, « c’est, pour Alaa (Al-Dali), de recevoir une invitation particulière reconnaissant qu’il vient d’être blessé et qu’il est un pilote pour l’établissement du paracyclisme au Moyen-Orient ». Il n’est pas certain, cependant, qu’une invitation officielle puisse suffire pour lui permettre de se rendre à Tokyo.
Al-Dali a perdu une jambe, mais certainement pas son rêve. Alors que le Giro italien de cette année offre des courses cyclistes exaltantes à travers des paysages magnifiques, lui continue de pédaler avec une seule jambe, d’aller et venir sur la seule route plate dans les limites de Gaza.
« Mes amis et ma famille m’ont dit que je suis un champion et que je ne dois pas capituler. Ma détermination est devenue encore plus forte qu’avant pour réaliser ma passion. Il est vrai que je n’ai pas été en mesure de lever le drapeau palestinien avec mes deux jambes ; je le ferai avec une seule. Cela arrivera, tôt ou tard ».
Flavia Capellini – Al Jazeera – 2 juin 2019
Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine
Source : Al Jazeera