Palestine : l’apartheid n’est pas la paix
Depuis le 6 décembre 2017, le président américain Donald Trump a reconnu Jérusalem comme capitale d’Israël, fermé la mission palestinienne à Washington, déménagé l’ambassade américaine à Jérusalem et stoppé le financement de l’aide humanitaire fournie par l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine (Unrwa), entre autres mesures. Et pourtant, nous, Palestiniens, sommes harcelés par des déclarations selon lesquelles les États-Unis veulent vraiment poursuivre la paix et que le seul problème a été en quelque sorte celui de notre hésitation.
Un graffiti représentant le président Trump et le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, à Bethléem en octobre 2017. Ammar Awad/Reuters
Personne ne peut soutenir que nous n’avons pas coopéré avec l’administration Trump. Nous avons eu près de 40 réunions au cours de 2017, nous avons répondu à toutes les questions et nous avons mis en avant notre vision de la paix fondée sur la solution à deux États. Mais les envoyés américains ont toujours refusé de nous impliquer dans les questions de fond. De fait, à la veille d’une visite du président palestinien Mahmoud Abbas à Washington, l’administration Trump n’a pas respecté son engagement de ne pas prendre des mesures unilatérales et a annoncé la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël. Quelle qu’en soit la raison – parti pris idéologique, manque d’expérience diplomatique, ou les deux –, l’équipe de Trump a fini par détruire les perspectives pour les États-Unis de jouer un rôle positif dans le rétablissement de la paix.
« Mandat divin »
Des gens comme le vice-président Mike Pence, l’ambassadeur David Friedman, l’envoyé spécial Jason Greenblatt et le gendre et conseiller principal de Trump Jared Kushner sont idéologiquement engagés dans l’entreprise de colonisation d’Israël. À en juger par le discours devant la Knesset israélienne de Pence l’an dernier, on peut supposer qu’Israël a un « mandat divin » pour violer les droits des Palestiniens. En prenant de telles positions, l’administration Trump a entraîné essentiellement un résultat au cours des deux dernières années : le renforcement des extrémistes dans notre région.
Afin de protéger la perspective d’une paix juste et durable, les dirigeants palestiniens ont organisé des réunions avec des dirigeants du monde entier. En fait, nous sommes allés au Conseil de sécurité des Nations unies pour appeler à une initiative de paix fondée sur le droit international, la mise en œuvre des résolutions des Nations unies et la participation de plusieurs pays pour faciliter le processus.
Cependant, pour l’équipe de Trump, le droit international est « irréaliste ». La Palestine semble être considérée comme faisant partie d’une entreprise immobilière – une propriété qu’ils peuvent dévaluer en fermant les missions diplomatiques, en stoppant le financement de l’Unrwa, en supprimant l’aide aux hôpitaux palestiniens ou en retirant les bourses offertes à des étudiants palestiniens. Ils n’ont pas considéré le fait que le peuple palestinien a sa dignité et sa fierté nationale, au même titre que toute autre nation, et que nous insisterons pour être traités en conséquence.
Soyons clairs : la solution à deux États ne signifie pas de s’adapter à la réalité illégale des colonies israéliennes, il s’agit plutôt de mettre fin à cette entreprise coloniale. En refusant de parler de la solution à deux États, les déclarations de l’équipe de Trump vont dans une direction différente, plus conforme à la position officielle d’Israël : un État et deux systèmes. Mais aucun Palestinien, Arabe, ni dirigeant international responsable ne pourra jamais accepter cette conception, comme cela a été clairement indiqué dans les messages envoyés par les dirigeants du monde entier à l’administration Trump.
Maintenant, des projets sont prêts à « promouvoir un avenir de paix et de sécurité au Moyen-Orient » dans une conférence à Varsovie en Pologne, à laquelle les Palestiniens n’ont pas l’intention de participer. Que ce soit clair : la Palestine n’a mandaté personne pour intervenir en son nom. En dépit des efforts américains pour promouvoir la normalisation des relations diplomatiques entre les États arabes et Israël, aucun changement à l’initiative de paix arabe ne sera accepté. La pleine normalisation des relations avec Israël n’aura lieu qu’une fois qu’un accord sur le statut final sera atteint et qu’Israël mettra un terme à son contrôle de tous les territoires arabes occupés depuis 1967, notamment le Golan syrien et Jérusalem-Est en Palestine.
Pas de paix sans justice
Israël a un puissant allié qui partage sa vision idéologique sur de nombreuses questions. Mais le fait d’ignorer les faits, en particulier nos droits, ne fait du bien à personne. L’administration Trump pense peut-être que supprimer les bourses d’étude ou cesser de financer les projets hydrauliques et les hôpitaux palestiniens de Jérusalem va forcer les Palestiniens à se rendre. Nous nous devons de rappeler aux États-Unis ce que l’archevêque héros de l’antiapartheid Desmond Tutu a déclaré : « Israël ne bénéficiera jamais d’une sécurité et d’une sûreté véritables en opprimant un autre peuple. Une paix véritable ne peut se construire que sur la justice. » La justice n’est pas un concept abstrait ou « irréaliste ». La justice commence par le respect de la loi.
Indépendamment du fait de savoir si les États-Unis et les gouvernements israéliens croient vraiment qu’ils s’acquittent d’une prophétie divine en privant les Palestiniens de leurs droits, ou s’ils apaisent simplement les extrémistes au sein de leurs électorats, ils ne parviennent pas à répondre aux préoccupations quant à la forme éventuelle d’une fin de partie. À la lumière de leur opposition à l’approbation d’une solution à deux États fondée sur la frontière de 1967, vont-ils soutenir une solution à un État, avec des droits égaux pour les Israéliens et les Palestiniens ?
Inutile d’être un expert en affaires étrangères pour comprendre que leur but n’est pas de mettre fin à l’occupation ni de garantir l’égalité des droits pour tous les citoyens d’un seul État démocratique. Leur option préférée est l’apartheid.
La question urgente à l’heure actuelle est donc simple : est-il sage de laisser l’avenir du Moyen-Orient entre les mains de l’administration Trump ? Le soutien en faveur de la solution à deux États nécessite des mesures concrètes en poussant Israël à mettre fin à son occupation qui dure depuis des décennies, notamment par l’interdiction des produits des colonies et par la cession des sociétés impliquées dans le maintien d’une politique illégale. Couper les sources de financement de colonies israéliennes, depuis les banques vers les organisations « caritatives », est une nécessité.
Le manque de vision de la part d’Israël et de l’administration Trump souligne le besoin pour le reste de la communauté internationale de se réveiller. Attendre un « accord Trump » ne fera que renforcer l’apartheid d’Israël et empêchera toute chance d’une solution politique dans un avenir prévisible.
Saeb Erekat est secrétaire général du comité exécutif et négociateur en chef de l’Organisation de libération de la Palestine, membre du comité central du Fateh.
Source : l’Orient, le Jour